DESTINS DE FLEURS

Marguerite, chélidoine, primevère, ancolie…

D’où viennent-ils, tous ces noms ? Qui les a inventés pour nous en affubler comme d’une seconde parure ? Ont-ils été empruntés à vos femmes, aux étoiles, ou les devons-nous à notre inclination pour la musique et les classements, pour les inventaires savants ? D’où vient-il, le nom qui est le mien ? Mais peu importe car pour l’heure je veux dire ma naissance, mon horizon et quelques-uns de mes engagements.

Certes, ce que j’écris sur les pages du jour n’a ni la force de l’encre ni l’assurance de vos discours. Pourtant… Je surgis au croisement de deux mondes. Du premier, obscur et minéral, à quoi il arrive que se mêlent feuilles tombées, mousses, fraîches fermentations, je tiens ma force élémentaire, et mon entêtement. Dès l’orée du second se déploie le jeu infini de mes formes : ramures, élans, courbes nerveuses, replis, fines découpes, dentelle broussailleuse, arcs, calice épanoui, fiévreux enroulements, valse ivre, cercles vigoureux…

Je me moque de mes destins successifs – que puis-je faire d’autre ? – de votre main oublieuse, de l’indigence de mes racines. Aux façades décrépites, je sonne comme une voyelle claire. Aux croisées muettes ou désertées, debout je veille, offerte, et en guise de bonjour, ma patience entrelace les fils concrets de la couleur. Au roc et à la terre calcinée, je ne sais pas dire non et je réponds par un régime approprié. Au ciel ouvert de la rue, je fais la fière et j’éclabousse les gens de mon rire de soleil artificiel. Il n’est pas jusqu’à la laideur ordinaire de vos arrangements dont je ne sache m’accommoder.

Je sui une trace, une buée rose sur votre œil, passants distraits, un tourment, parfois une question vive, une insolence, ou comme les cailloux blancs du conte, la fin d’un égarement.

Je défie le soleil dont m’effleure le venin ; d’un très ancien bijou j’ai parfois la splendeur. Je suis l’ombre violette qui cerne la paupière à l’heure où quelque feu secret court sous la peau et vous convie aux siestes lentes, quand monte à votre gorge le cri qui dénoue l’étreinte et va se perdre aux persiennes mi-closes. Je suis une promesse, une petite amphore blanche où vient faire écho la musique des sphères, l’anneau diaphane qui scelle vos noces. Je suis la table dressée, ordre et beauté, je suis le temps réconcilié, comme aux jours des toutes premières fêtes, avec le vin, la danse et puis ceux que l’on aime.

Je suis votre part de lumière.

Marguerite, chélidoine, primevère, ancolie…

Alain Jacquemoud